Participation, Collaboration, Autocoordination, Coopération
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Mots clés : coopération, collaboration, coordination, participation
Lorsque nous ne savons pas faire seul une tâche ou une série de tâche, lorsqu’un projet dépasse la puissance de travail et les compétences d’une seule personne, lorsqu’un problème est trop complexe pour être traité par une personne seule, nous avons besoin de collaborer ou de coopérer pour atteindre nos buts.
Cette capacité à la collaboration est citée par Yuval Noah Harari dans son livre Sapiens, comme la compétence la plus importante pour le développement de l’homme sur la terre et sa prise de pouvoir sur l’ensemble des écosystèmes, les conquêtes spatiales, le développement de la science.
Pour Eloi Laurent [1] :
« la prospérité humaine s’explique avant tout par la coopération sociale, c’est à dire par notre capacité à agir ensemble en vue de résoudre nos problèmes et de réaliser nos désirs. L’homme est un animal coopératif ».
L’avantage de cette capacité réside dans la formule de Pierre Teilhard de Chardin « Rien dans l’univers ne saurait résister à l’ardeur convergente d’un nombre suffisamment grand d’intelligences groupées et organisées», et ses inconvénients dans les aspects négatifs de la collaboration, au service d’intentions destructrices.
Sous l’impulsion de leaders dont l‘éthique ne comporte pas la protection de la vie, la collaboration se base sur les plus sombres aspects de l’âme humaine pour dominer et détruire.
« Coopérer c’est se partager une tâche commune »[2], cette citation est satisfaisante dans notre civilisation, si l’on considère que la tâche peut être une œuvre d’art, un roman, la défense des animaux ou la conception et le développement de l’Hyperloop, ce qui nous éloigne de la manière habituelle de considérer ce mot. A partir de cette définition élargie aux différentes activités humaines, on peut constater que de la manière de partager la tâche commune dépend le degré d’engagement des membres dans la coopération. La définition de l’activité est très variable selon les groupes, ainsi que les modalités de coordination (partage de la tâche et clarification des interfaces).
Il en est de même pour l’engagement des membres dans les interactions entre eux et avec l’éventuel leader, leur implication dans la définition des buts du groupe, de ses objectifs et de ses modes de fonctionnement, dans les modalités de coordination des actions, de résolution des problèmes, des tensions et des conflits. Ces différences peuvent nous amener à considérer 4 modalités de fonctionnement des groupes humains face à l’activité : participation, collaboration, auto-coordination, coopération. Le vocabulaire utilisé diffère selon les études, les auteurs, des contradictions dans l’usage des termes sont fréquentes.
Un principe du « penser ensemble » s’appelle le partage de représentations, alors allons-y, nous proposons les différences suivantes entre les termes.
Participation
La participation est un mode d’engagement dans le travail qui permet aux membres du groupe d’effectuer des tâches sans en connaître le sens ou le processus global. Dans une réunion familiale, vous pouvez fort bien participer à la préparation du repas, avec quelqu’un qui vous demande d’éplucher les oignons et de les tailler d’une manière particulière. Vous aurez participé à une tâche définie par un leader d’activité, mais vous aurez limité votre action aux tâches prescrites. Le lien avec le leader est un lien de dépendance, d’attente des informations, de contrôle. Le membre fait ce qui lui est demandé. Le leader d’activité fait participer. Participer c’est réaliser des tâches prescrites, dont l’objectif n’est pas toujours clair. On connaît peu sa contribution à la réalisation complète.
Dans ce restaurant chacun reçoit chaque matin la check list de ce qu’il doit réaliser pour les préparations d’ingrédients (mise en place) ou de plats de la journée, le nombre de portions est précisé, avec les quantités à réaliser. Il est attendu que les réalisations soient faites dans l’ordre de la liste. Chaque cuisinier, pâtissier, plongeur participe à l’élaboration du repas défini par le chef, il est encadré par un responsable qui contrôle le plat, lui annonce les commandes. Chaque recette est écrite et répétée. L’organisation de la cuisine, les nouvelles recettes, les choix d’ingrédients sont réalisés par le chef et son adjoint.
Dans la phase de participation, il n’y a pas de coopération, les uns préparent le travail, d’autres l’exécutent, avec leurs talents, leurs compétences, leur engagement ou désengagement. Dans une entreprise où le mode d’engagement dans le travail est la participation, la coordination entre les personnes et les phases de l’activité est assurée par une instance spécifique qui définit les prescriptions aux différents membres, leur fournit la matière première de leur activité et met en place les systèmes de contrôle de l’activité et de la qualité des réalisations. Dans de nombreuses réunions dites de créativité, seule la participation du membre est attendue. Le thème est prévu, la méthode est prévue, le livrable est connu. Chacun est attendu pour donner le plus grand nombre d’idées possibles.
3 formes collaboratives de l'action
Collaboration
La collaboration consiste à faire avec les autres ce que nous ne pouvons pas faire seuls. Collaborer, c’est mettre sa force d’action au service d’un projet collectif. Lorsque l’on collabore, chacun participe volontairement à un travail commun.
Généralement les objectifs du groupe et la coordination entre les membres sont définis et assurés par son leader ou par une instance externe au groupe. Dans la phase de participation, le menu du repas de Noël est défini par la famille qui accueille, chacun apportera un plat salé et un plat sucré défini par avance. Lorsque le groupe familial est structuré autour de la collaboration, le menu va être établi ensemble, chacun proposant un élément du menu en lien avec les autres propositions pour faire quelque chose d’harmonieux sur la base des recommandations données : « on fait un menu en 4 plats », « un buffet dinatoire », « pas de dinde cette année », « on fait un menu blanc »… Dans la collaboration, généralement ce que le leader demande est réalisé, la contestation de l’objectif ou des méthodes génère de la frustration, quelquefois des conflits, du désengagement. Collaborer c’est faire ensemble pour réaliser un projet porté par un responsable du groupe. Les directions, souvent les modalités de fonctionnement sont fixées par des règles, des processus, des fiches de tâches ou le responsable du groupe directement. Dans cette modalité d’action humaine, généralement on sait ce que l’on a à faire, comment le faire, le travail collectif est guidé par le responsable ou un membre spécifiquement désigné du groupe. C’est le cas de Wikipédia qui est un exemple incroyable de collaboration.
Auto-coordination
La coordination consiste en un agencement logique des parties d’un tout en vue d’obtenir un résultat déterminé. Se coordonner ou « auto-coordination » vise à définir le meilleur agencement des tâches et activités à réaliser par les personnes présentes dans un groupe, les membres eux-mêmes, en vue de réaliser ce qui prévu (une voiture, un bilan comptable, un nouveau produit financier, une chorégraphie…). Se coordonner c’est apprendre à traiter les interfaces entre les actions de chacun, à conduire les membres du collectif à définir les délais, les niveaux de qualité des tâches, l’organisation. Lorsque l’équipe fonctionne en auto-coordination, les membres se mettent d’accord pour organiser les activités, les actions, clarifier les modalités de contrôle et de traitement des difficultés, avec l’aide d’experts et du leader du groupe. L’importance de cette phase est que lorsque les méthodes et outils de coordination sont définis par des tiers externes aux membres concernés du groupe ou par le leader solitaire, il y a des risques que se produise un blocage ou une diminution de la puissance du groupe, par excès d’adaptation ou de rébellion (la fameuse grève du zèle qui par application complète de tous les éléments de la procédure ralentit fortement l’activité).
Comme le souligne Marie-Eve Brault, coach :
« coopérer suppose qu’au cours des échanges, chacun donne à voir sa pratique, et en particulier les endroits où on suit, ou pas, ce qu’il est prévu de faire. Or, comme chacun sait, personne n’applique chacune les règles prévues (sinon, on bloque le système cf. la grève du zèle qui consiste précisément à appliquer chacun des process, règlements). Je constate que pour que chaque collaborateur prenne le risque de donner cette visibilité sur ce qui peut être vu comme un « manquement », cela suppose qu’il sache que son patron en ait connaissance et que pour autant ce dernier ne le sanctionnera pas négativement. D’où l’importance du feedback, positif et négatif, qui contribue à bâtir la confiance. [3]
Coopération
La coopération est la forme la plus évoluée du travail partagé et de l’action collective. Elle suppose comme prérequis que les membres du groupes sachent collaborer (travailler ensemble pour un objectif partagé issu de l’environnement ou d’un leader) et se coordonner (définir les interfaces, répondre aux attentes des autres acteurs du travail, clarifier les contrats permettant l’efficacité ou l’efficience). Coopérer c’est penser ensemble et faire ensemble pour réaliser un projet émergent de la réflexion et des désirs partagés du groupe.
Pour Eloi Laurent, « On collabore pour faire, on coopère pour savoir. »[4] Son hypothèse très forte est que : « les humains coopèrent effectivement pour un bénéfice, mais ce bénéfice est le savoir.(…) la coopération prend la forme d’une intelligence collective à but illimité. » Ainsi, ce qui fait la grande différence entre les formes d’action collective humaine, c’est la nécessité dans la coopération de faire appel à l’intelligence collective, à la construction d’une pensée élaborée, riche des apports de chacun.
La coopération nous amène à réfléchir et décider des objectifs assignés au temps passé ensemble. Au-delà des premières formes de collaboration, la coopération amène à la créativité et au désir de découverte permise par l’intelligence collective. Lorsque la coopération est présente, l’objectif n’est pas défini par le leader, il est co-construit par les membres du groupe. La coopération les conduit à la fois vers la définition des orientations et des objectifs que des manières de les atteindre, d’en tirer profit collectivement, d’en évaluer les impacts, d’en mesurer la valeur. La coopération est souhaitable pour donner un sens collectif à l’activité, la création d’une culture commune. La coopération est exigeante, elle nécessite que chaque membre du groupe s’engage dans le projet collectif, à partir de l’ensemble de ses compétences et ressources, qu’il participe à la création d’une vision du monde partagée, à la clarification des enjeux, du sens de l’action, des objectifs, des méthodes, de l’évaluation des résultats… Enfin qu’il participe à la création d’un contact riche, apaisé, motivant avec chacun des autres membres et le leader éventuel.
Apprendre à coopérer et entretenir les modalités de coopération au sein d’une équipe est utile, parce que lorsque la coopération devient nécessaire, en lien avec l’ampleur des enjeux ou la traversée de difficultés réelles de fonctionnement, l’équipe qui aura appris à coopérer pourra rapidement remobiliser ses compétences et résoudre les problématiques rencontrées.
La notion de « membre engagé » traduit bien le mode de participation au groupe qui découle de, ou permet, (œuf ou poule ?) la coopération. Le membre engagé, pour coopérer, met l’ensemble de ses capacités au service d’un projet qui appartient à l’ensemble des membres. La coopération nécessite à ce titre plus d’autonomie des personnes que les autres formes de travail collectif.
Une équipe de rugby qui fonctionne bien (c’est vrai avec les autres sports collectifs), fonctionne en coopération. Chaque membre a conscience de la nécessité de faire ce qui est le mieux pour l’équipe elle-même et son but à tout moment. Même si chacun a un poste, une tâche principale, il va défendre ou attaquer selon la phase de jeu : c’est le contexte et l’objectif global qui définit son action. Il est libre de son action au bénéfice du groupe. Mais souvent il y a peu de coopération hors du terrain, plutôt de la participation ou de la collaboration avec les managers de l’équipe. A titre d’illustration, les joueurs qui portent une parole trop forte sont régulièrement exclus, il y a peu de temps d’échange collectif sur les règles internes au groupe, les outils de coordination.
Peut-on toujours coopérer ?
Faut-il toujours coopérer ?
Non bien sûr, parce que la coopération ne peut qu’être un choix d’un dirigeant, d’une organisation, d’une assemblée d’humains. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, l’injonction à coopérer n’est pas fonctionnelle.Peut-on toujours coopérer ?
Pas certain, même si la coopération permet l’épanouissement humain et la satisfaction des collaborateurs d’une organisation, elle n n’est pas nécessairement indispensable pour toutes les organisations et dans toutes les circonstances.Prenons le cas des organisations qui valorisent la compétition entre leurs entités dans le cadre de leur stratégie commerciale. Leurs agences sont alors en concurrence sur un territoire, ou tout simplement comparées en fonction de leurs résultats lors des journées régionales. Dans cette situation collaborer ou coopérer pour augmenter la notoriété sera sans doute possible. En revanche, coopérer sur les dossiers clients, informer ses collègues de nouvelles opportunités, des manières de résoudre les difficultés, des innovations marketing, sera sans doute bien plus difficile tant que les critères d’évaluation de l’activité sont centrés sur la compétition, le CA, la rentabilité, le nombre de nouveaux clients et non le partage, la coopération. Notons ici que la définition d’indicateurs valorisant la coopération n’est pas aisée. Pour l’entreprise, un travail sur la coordination, la recherche des zones de complémentarité sera sans doute plus satisfaisant que le développement de la coopération amenant de la frustration au sein des équipes.
Une autre situation est celle d’un groupe qui pour des raisons d’enjeux de temps, de pression externe, n’a pas le temps d’élaborer ses propres règles, d’apprendre à se connaître, d’apprendre à échanger selon des modalités de communication positive, à négocier, à contractualiser des tâches, à partager des valeurs, des signes de reconnaissance… il sera bien plus efficace de développer des modalités de management plus directives et de fixer les tâches pour chacun dans un mode participatif.
Une autre situation encore, celle ou le turn-over est très fréquent pour des raisons de tension du marché du travail : la collaboration, la coordination seront possibles, la coopération sans doute moins. Il faut du temps pour apprendre à se connaitre vraiment et s’accepter, s’apprécier !
La coopération ne va pas remplacer toutes les manières de travailler, ainsi tout ce qui peut être fait par une personne seule, avec des standards de réalisation qui sont ceux attendus par les utilisateurs du produit ou du service, ne nécessite pas de coopération. Coopérer comprend l’action de se coordonner : il n’est pas souhaitable de faire ensemble, décider ensemble, sur tous les sujets et tout le temps d’un projet : clarifier avec les membres du groupe projet, décider des actions à mener, des responsabilités, des temps de partage, des temps de ‘rétrospective’, des modalités de résolution des difficultés éventuelles… tout ceci est une base pour la coopération sur les étapes, phases, éléments qui nécessitent l’intelligence collective et l’engagement de chacun.
Dans la vie courante, tant à la maison qu’au travail, nous avons de très nombreuses occasions de collaborer, mais nous avons peu l’occasion de coopérer, ce qui rappelle combien apprendre à le faire est important.
[1] Eloi Laurent – L’impasse collaborative : pour une véritable économie de la coopération – Les liens qui libèrent – 2018 [2] Page:Durkheim – De la division du travail social.djvu/154, //fr.wikisource.org/w/index.php?title=Page :Durkheim_-_De_la_division_du_travail_social.djvu/154&oldid=7685392 (Page consultée le juillet 22, 2018). [3] Communication personnelle, février 2019 [4] Eloi Laurent, ibid
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