Leader coopérateur

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Pilier 3 : « Développement des personnes – Leadership »

Mots clés : coopération, leader, développement professionnel

Note liminaire : a chaque fois que vous lisez le mot leader, entendez-le comme un mot neutre de genre : la personne, la femme, l’homme présent(e)s dans ce rôle à ce moment là de la vie du groupe. Leader est un mot d’origine anglaise : en anglais le mot leader n’a pas de genre particulier.

Limite des modèles descriptifs du leader

La photo et le film

A chaque fois que l’on dit « un leader est ou doit-être comme-ci ou comme ça » ou que l’on décrit un leader de tel ou tel type, on regarde la photo et on oublie le film. La photo : les leaders sont montrés dans un état parfait, avec des habitudes et des compétences relationnelles fortes, mais ces descriptions ne montrent que la photo à un temps donné, le temps de l’excellence. très souvent les compétences mises en avant, les attitudes, les éléments de posture correspondent à ceux qui existent dans des groupes ayant une culture ancienne de la coopération ! Lorsque l’on regarde une photo et non le film, on prend le risque de démotiver les leaders, les managers en activité et il en est de même pour les membres du groupe, en leur proposant quelque chose qui semble inatteignable. Contrairement à ce que de nombreux ouvrages de management ont voulu nous faire croire dans les années 90, le temps de l’excellence est un temps limité. Le temps de l’apprentissage, le temps des réglages, le temps des erreurs, le temps des errements, le temps du renouveau sont autant de temps que vivent chacun d’entre nous et qui limitent les temps où nous utilisons au mieux l’ensemble de nos capacités. Peut-être trouverez-vous cette vision légèrement pessimiste, alors prenez le temps de regarder votre propre parcours de vie. Accepter ses failles, ses limites et la réalité en dent de scie de sa vie (essais, erreurs) permet la croissance. Heureusement, l’expérience peut nous permettre de tirer profit de ce que nous vivons, nous évoluons, nous ne refaisons pas les mêmes erreurs, nous découvrons petit à petit ce qui est essentiel pour nous.

Très souvent les descriptions des managers font cette confusion entre le film et la photo, dans un article récent [1], l’auteur décrit les 5 habitudes des personnes authentiques. On comprend bien à la lecture que ce dont parle l’auteur ce ne sont pas des habitudes (des choses que l’on fait volontairement ou par accumulation de pratique, comme mettre le lave-vaisselle à tourner au moment de se coucher, boire un café avant d’ouvrir son ordinateur) mais bien des attitudes, des traits de personnalité que les personnes authentiques ont développés au cours de leur vie. Cette description implique en toile de fond un nombre important d’attitudes, de caractéristiques, que bien peu de personnes pourraient arriver à tenir. Ainsi une personne authentique serait, selon le tout premier paragraphe de l’article capable de : ne pas chercher à séduire, être lui-même, savoir que les personnes vont l’aimer, de prendre des décisions impopulaires, et d’exprimer des défis.

la vie du leader est un film à épisodes

La vie d’un leader quel qu’il soit, relève plus d’un film qui comprendra ses réussites, ses compétences relationnelles, mais aussi une description de ses difficultés, des épreuves traversées, des renoncements, des paradoxes vécus, des erreurs d’appréciation, des doutes, des moments de retrait et de confusion, des égarements dans la déception, des comportements qui ne sont pas en lien avec son éthique, des cas de conscience, des évolutions, des stagnations…

Dans cette manière de décrire ce qui est attendu d’un leader, en montrant uniquement le meilleur, je ne retrouve pas les leaders coopérateurs que je rencontre, avec toute la richesse de leur personnalité.

Les gens bien et les autres ?

Montrer un modèle de leader sans le film de sa vie et de son développement, accrédite la thèse qu’il existe des gens bien et les autres, que le leadership n’est ouvert qu’à certaines personnes particulières et maintien la croyance qu’il y a les leaders et les autres, les hommes ou femmes providentiels, prédéterminés à être leader. Cette manière de faire soutient également la pensée que les personnes bien n’ont ni doutes, ni peurs, ni difficultés. Elle oublie que nous avons tout le temps à apprendre, à progresser, à développer nos pratiques. Pour le lecteur, cela peut valoriser un coté centré sur soi-même, la pensée que si j’aime cette définition de la belle personne, alors je fais partie de ceux-là, je peux me projeter avec mes histoires dans cette description et occulter l’ombre, la souffrance, les difficultés. Vu de ma fenêtre, la vie comprend aussi l’hésitation, les peurs, les difficultés à se montrer, les comportements liés à nos émotions et nos affects, l’imposition de nos besoins dans la relation, les certitudes à combattre…

Souvent nous vivons dans des univers de pression, nous amenant face à des contextes très variables, avec nos capacité d’ajustement très variables également, à des comportements adéquats ou non. « Je suis moi avec mes circonstances » dit le philosophe José Ortega Y Gasset. L’oubli du contexte dans ces descriptions des compétences attendues des leaders, laisse penser que nous nous comportons toujours de la même manière. Ce n’est pas le cas, et même si nous avons des dominantes de comportement, nous sommes sensibles au contexte, et dans deux contextes différents, nous aurons sans doute des comportements différents. Personne n’est XYZ, mais chaque leader se débrouille avec les circonstances de sa vie, ses peurs et ses colères, son contexte professionnel, ses limites et ses forces.  Dès que l’on décrit un leader abouti, on oublie de regarder ce qu’il lui reste à apprendre à tester, ce qui va permettre son engagement dans la rencontre avec les membres particuliers de son groupe d’appartenance.

Je souhaite, dans la description des compétences à acquérir par le leader coopérateur, laisser la place à ce chemin de vie qui s’appuie sur l’introspection, le feed-back externe, la confrontation au contexte et sa compréhension par l’accompagnement, le traitement de ses peurs, la requalification de ses difficultés en résistance.

Chaque chemin est individuel, vers plus de cohérence et de lien avec ses valeurs, avec son histoire préférée comme le disent les praticiens narratifs. Nous ne sommes pas identiques à 50 et à 20 ans. Même si vous ne croyez pas trop aux « cycles de vie », vous pourrez constater combien vos priorités peuvent avoir changé au fil du temps.

Leader coopératif ?
Leader coopérateur ?

Des qualités naturelles à l’apprentissage et au développement personnel

Dans un groupe, un leader l’est devenu, soit parce qu’il a constitué le groupe et qu’il porte une plus grande partie de la flamme et du désir ; soit parce qu’il a été nommé responsable de ce groupe particulier et qu’il souhaite transformer sa culture et son organisation vers plus de coopération ; soit parce qu’il a été identifié et nommé au sein du groupe et qu’il assume temporairement cette place. Bien que leader, il est d’abord et avant tout un membre engagé du groupe. Il n’a pas besoin de montrer des caractéristiques d’homme providentiel. Il participe aux activités utiles à l’atteinte des objectifs, aux décisions, aux activités nécessaires à la coordination, aux tâches, et il partage la responsabilité de l’atteinte du résultat.

 

Le leadership coopératif repose sur une posture adaptée du leader.

Une posture est à l’origine – avant son usage massif par les écoles de coaching – la manière dont on pose, tient le corps, la tête, les membres. Que cette manière soit naturelle ou non ! Avec l’analogie de la posture de yoga, dans laquelle on apprend et où l’on porte conscience et attention à positionner son corps, ses membres, sa tête, la posture du leader représente ses manières d’être en lien avec son rôle. La manière dont il incarne ce rôle. L’attention du leader coopératif va être portée sur ses manières d’êtres, ses automatismes relationnels, la manière dont il gère ses émotions, ses croyances limitantes et positives. Cette conscience portée à l’exercice de son rôle, sa posture le conduit à apprendre et développer une posture adaptée à la recherche de l’intelligence collective.

L’apprentissage principal du leader coopérateur est sa capacité à entrer en relation avec les membres de son groupe et à maintenir cette relation sur le long terme.

Pour cela, il va avoir à apprendre, tout comme chacun des membres de l’équipe, à demander et à donner du feedback, à demander et à proposer de l’aide, du soutien, de la sollicitude (je ne suis pas fan de l’usage permanent du mot bienveillance, mais si ce mot vous plait vous pouvez remplacer sollicitude par bienveillance). Au même titre que les autres membres engagés du groupe, il aura à développer sa capacité à s’affirmer, à identifier ses besoins, à négocier, à poser des questions, à faire des propositions, à donner son avis, à écouter les autres et respecter les avis divergents… Ces apprentissages se font de manière plus ou moins aisée selon nos caractéristiques psychologiques et relationnelles naturelles, mais nous pouvons tous, dans un environnement où la sécurité psychologique est présente et avec les processus adéquats, exprimer nos forces, et nos valeurs, ce qui compte pour nous.

Pour Dominique Oberlé [2], la différence entre un chef et un leader repose principalement sur les degrés de liberté dont il dispose :

« Alors qu’un chef, qui est nommé par autre chef, s’inscrit dans une ligne hiérarchique, un leader est choisi par le groupe dont il émerge. Il n’a de comptes à rendre qu’à ce dernier, alors qu’un chef doit toujours rendre compte à ses propres chefs. Le leader défend donc les intérêts de son groupe, tandis que le chef représente les intérêts de sa hiérarchie. »

Un leader coopérateur aura donc à défendre les intérêts de son groupe, au sein d’un environnement variable et exigeant, pour la réussite de l’activité et des missions que le groupe se donne. Le développement d’une culture collaborative est possible dans toutes les organisations, y compris celles qui sont fortement hiérarchisées, même si la possibilité de coopération augmentera fortement avec un système de gouvernance partagé. Tout manager a la possibilité de mettre en œuvre les principes de la coopération dans son équipe, charge à lui d’expliquer les limites et de leur donner du sens.

Rôle du leader pour le développement d'une culture coopérante

Le rôle du leader, dans les périodes de développement au sein de son équipe d’une culture collaborative ou coopérative, est de créer les conditions de l’engagement des membres, de l’orientation de l’activité et du maintien de la sécurité relationnelle ; principalement :

  • Impulsion. Partager le désir, la raison d’être et les intentions du groupe avec l’ensemble des membres ; « aider les personnes à se projeter vers quelque chose qui est au-delà de ce qui est immédiatement atteignable, »[2]
  • Confiance. Favoriser la création d’une culture de la confiance, intégrant la sécurité psychologique, la reconnaissance, la prise en compte des émotions (partage des inquiétudes et des agacements), des besoins, des désirs ; également la capacité à partager les conflits de représentations en évitant les conflits de personnes ; à encourager le maintien d’un nous, même face aux difficultés ; à favoriser l’écoute et l’expression de de chaque vision du monde, des avis divergents ;
  • Coordination. Permettre la clarification, la définition des méthodes et la coordination des activités ; faciliter les temps de travail en commun, engager des modes de fonctionnement clairs permettant la création de l’intelligence et de l’action collective ;
  • Décision. Clarifier les modalités de prise de décision collectives ;
  • Engagement. Permettre à chacun de développer une posture de membre engagé, en soutenant les forces et donnant du feed-back ; permettre les conversations courageuses autour du pouvoir, de l’argent, des phénomènes de dépendance…

Chemin de développement personnel du leader

Son rôle de leader implique des droits et des devoirs, dont il aura à prendre conscience pour poursuivre un chemin de développement personnel / professionnel. Ce développement peut se baser sur un inventaire de ses forces, de ses compétences relationnelles à entraîner, négocier, prendre soin, clarifier… et doit l’amener à développer sa capacité à solliciter, obtenir et intégrer ce que les autres membres du groupe vont lui proposer, lui dire, lui demander, lui retourner. Une autre des pistes de croissance est la prise de conscience des privilèges de son rôle et des risques d’abus qui lui sont liés conduisant à des possibilités d’humiliation, de blessures importantes.

Il aura aussi à apprendre à se positionner dans les relations de dépendance ou de soumission induite par sa position de leader. L’impact de cette situation ne dépend pas complètement de lui, mais son attitude va permettre aux membres de se positionner et d’exprimer leurs propres ressentis émotionnels dans la situation. L’existence d’un leader nommé par l’environnement ou créateur de l’activité, produit un effet de contexte (figure d’autorité) qui peut ramener certains des membres dans des modes de fonctionnement adaptatifs.

Sachant qu’il n’y a pas de limite à la soumission, le leader veillera à être attentif aux impacts de ses prises de position et de parole auprès des autres membres  du groupe.

 

Un travail de définition des besoins de croissance par les managers eux-mêmes

Un travail réalisé lors d’une première séance d’analyse de la pratique, avec des managers d’équipes impliqués dans une démarche de responsabilisation de leurs équipes, a mis en évidence les souhaits de croissance suivants :

  • Savoir reconnaître ses erreurs, les mauvaises interprétations ou les interventions inadéquates ;
  • Demander de l’aide ;
  • Permettre aux personnes de se débrouiller seules ;
  • Orienter sans imposer, proposer ;
  • Donner – partager les informations nécessaires et juste nécessaires ;
  • Écouter de manière profonde, prendre le temps de l’écoute ;
  • Comprendre le point de vue des autres (se décentrer) ;
  • Aider les autres à se positionner face à moi ;
  • Comprendre et accompagner les émotions ;
  • Savoir proposer du soutien (valeurs, comportements, projets) ;
  • Savoir-faire un feed-back difficile et  parler d’ un comportement qui ne va pas dans le sens de la culture, sans violence ;
  • Manifester de la curiosité ;
  • Manifester de la considération, de la gratitude ;
  • Reconnaître l’autre dans sa spécificité ;
  • Développer l’équité / partage équitable des gains ;
  • Orienter sur le long terme.

 

Ces propositions sont puissantes, car établies par des managers qui souhaitent être engagés fortement dans leur propre développement !

4 domaines du développement des leaders et des membres engagés

Ces propositions couvrent les 4 domaines essentiels du développement des leaders et des membres engagés pour plus de conscience et plus de comportements adaptés aux :

    • conditions de la sécurité psychologique des membres et de l’expression de chacun ;
    • conditions du développement individuel : empowerment, assertivité, communication positive (bienveilllante, non violente) ;
    • phénomènes liés au facteur humain (relation de l’homme avec les systèmes avec lesquels il interagit), incluant la coordination, les circuits d’information, l’accompagnement des manifestations émotionnelles, la formation ;
    • conditions du développement des interactions au sein du groupe :  chemin de la dépendance vers l’autonomie, exercice du pouvoir et de l’autorité partagée…

Devenir un leader coopérateur est un chemin de croissance, qui bien qu’individuel ne saurait être mené seul !  Il s’agit de pouvoir regarder le film en train de se faire, de développer sa conscience, d’augmenter ses capacités d’action, de partager ses doutes, ses déceptions, ses joies, de développer sa créativité, de clarifier ses intentions…

Le mentorat, la formation, la psychothérapie, l’analyse de la pratique professionnelle, le co-développement, le coaching… sont des voies de développement « en relation » pouvant répondre aux besoins des leaders coopérateurs.

 

 

[1] https://www.linkedin.com/pulse/les-5-habitudes-des-personnes-authentiques-laurent-buratti/

[2] Dominique Oberlé – Bien raisonner ensemble cela s’apprend – Cerveau et Psycho, N° 75, Juin 2016.

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