L'engagement des membres au travers de la coopération

Mots clés : coopération, membres, engagement, motivation

Un des résultats les plus visibles du développement de la coopération au sein des équipes, des groupes ou des organisations, est la capacité des membres à agir de manière engagée, de contribuer pleinement, pour leur bien personnel, le bien des autres membres et le bien du groupe concerné.

La vision classique de l’engagement pour l’organisation

La description classique de l’engagement dans la littérature managériale a été défini par Natalie Allen et John Meyer en 1991. Ces auteurs décrivent l’engagement des personnes envers leur organisation sous trois formes :

  • L’engagement normatif. Cet engagement part d’une réflexion morale sur le travail, l’entreprise qui m’emploie. Le résultat de ma réflexion porte principalement sur le « devoir ». Je suis redevable à mon entreprise, de ce qu’elle me procure et fait pour moi. Je me sens obligé de développer des conduites loyales envers mon organisation et d’adhérer à ses normes. A ce principe s’ajoute une tension à la réciprocité : je vais donner à l’entreprise en retour, lorsque j’ai le sentiment qu’elle me donne.
  • L’engagement affectif, qui se base sur la qualité des relations, le cocon, le sentiment de famille créé par l’entreprise autour de la personne, l’amitié des collègues. Il prend aussi en compte l’admiration pour le patron, le manager. Je partage les valeurs portées par le patron, par l’organisation. Il y a dans cet engagement une part émotionnelle plus importante que dans l’engagement normatif.
  • L’engagement de continuation, qui privilégie l’absence de changement dans la situation professionnelle, l’évitement des changements personnels (vie familiale, lieu de vie, crédits) qui pourraient être liés à la rupture du contrat de travail. Je reste dans cette entreprise plutôt que de chercher à changer, parce que les investissements que j’ai fait dans l’organisation sont importants et que si je partais je ne les retrouverai pas ! Il n’y a pas de joie dans cette forme d’engagement. Cet engagement vis à vis de l’organisation est plus faible que dans les cas précédents et repose partiellement sur les peurs de la personne quant à son avenir.

La description des modalités d’engagement ci-dessus est en lien avec une psychologie centrée sur la personne (celle ou les comportements sont déterminés plus par nos caractéristiques que par les effets de contexte, avec la croyance que nous avons des comportements stables dans des circonstances différentes), et conduit à prendre comme instrument de mesure de l’engagement la loyauté de la personne vis à vis de l’entreprise, de la même manière que l’on parle de loyauté envers son environnement familial. Les trois formes d’engagement telles que décrites ont l’air de s’exclure. Comme le décrit Emmanuelle Joseph-Dailly[i], « L’engagement s’entend ici au travers de la loyauté à la direction d’entreprise et de l’alignement à la stratégie proposée. Cette stratégie est souvent peu connue des salariés ». Posant ainsi la question d’une définition actualisée de l’engagement.

 

Une définition actualisée de l’engagement

L’engagement d’un membre dans le fonctionnement d’un groupe peut être défini comme la participation d’un JE responsabilisé dans le bon fonctionnement du groupe. Selon les priorités du groupe, les circonstances externes (ce que l’environnement attend du groupe) ou interne (les étapes dans la vie du groupe), le membre engagé participera  de manière différente au partage du leadership, à la création d’une culture adaptée aux objectifs, à la coordination des actions, à la résolution des problèmes et des challenges qui se posent, au maintien de la convivialité et du bien vivre ensemble, à la créativité, au partage des informations, à la participation à l’apprentissage et au partage des savoirs…

L’engagement tel qu’il est vu aujourd’hui est bien différent de celui défini dans les années 1990. Il ne s’agit pas de mesurer la fidélité du membre par rapport à l’organisation, qui peut aboutir au sentiment d’être lié par des chaînes, de s’oublier face au groupe, d’accepter tout ce que le groupe propose, mais bien au contraire d’oser contribuer, d’oser dire, d’oser faire, d’oser proposer des actes et des projets différents, créatifs. Il s’agit d’allier ses propres aspirations et les besoins du groupe pour atteindre les objectifs ou le but (mission) fixé.

L’engagement, à la lumière de l’évolution du travail et de la coopération, c’est allier indépendance et participation, relation riche et liberté… être un individu unique et le membre d’un tout.

L’engagement se traduit dans l’action ici et maintenant et non dans une appartenance vue sur le long terme. Je peux être engagé par mes comportements, si les conditions s’y prêtent, dans un groupe dans lequel je ne suis que de passage. Lorsque je suis engagé, je suis réellement contributeur. Cela aura un double impact : d’abord sur l’estime de soi : je mets de la conscience sur ce qui est important pour moi, ce à quoi je contribue, « la pierre que j’apporte à l’édifice » ! Je me reconnais comme une personne, un acteur de ce qui se passe, et non simplement comme un membre du groupe. Le second impact porte sur le regard externe : je pourrais être reconnu comme contributeur par mes pairs du groupe, par le leader, par l’environnement.

Sur quoi repose notre engagement ?

Dans une vision systémique, traduisant une psychologie du contexte et de la relation, je vois l’engagement comme le résultat de quatre élans internes faisant le lien entre le JE, (mes intentions, mes aspirations, mes valeurs, mes manières de voir le monde, ce qui me fait vibrer) et le NOUS proposé par le groupe, l’équipe, l’organisation, l’environnement dans lequel j’agis.

Ces 4 élans internes sont :

  • Éthique : les valeurs que je porte trouvent à s’incarner dans le fonctionnement du groupe, de l’organisation en relation avec le contexte et les circonstances (si je travaille pour une banque, pour un hôpital, pour une carrière, cela fixe pour une part la gamme des valeurs et des intentions possibles). Plus le membre du groupe évalue positivement le sens de son travail (utilité, impact sur l’environnement…), et les modes de fonctionnement du groupe comme cohérents avec ses valeurs, plus il s’engage dans le groupe.
  • Technique et rationnel : l’organisation, les modes de coordination, les produits, les services, l’activité proposée, me permettent d’exprimer mes talents, mes compétences ; me permettent de développer mes savoirs, d’enrichir mes savoir-faire. Les techniques employés me paraissent cohérentes, adaptées aux activités. Je considère que les ressources disponibles permettent la réalisation de l’activité avec des hauts standards de qualité et de sécurité.
  • Émotionnel : ce que j’observe dans les modes de fonctionnement, les modes de management, les relations entre les personnes  génère de la joie sous différentes formes.  Admiration ou amitié pour les personnes. Fierté des réalisations. Plaisir des activités. Sérénité des modes de fonctionnement. Excitation des challenges. Plaisir de la créativité. Les émotions de colère et de peur sont prises en compte et donnent lieu à une écoute et la recherche de solutions.
  • Développemental et relationnel : la possibilité d’exercer des responsabilités de manière indépendante (ce qui est nommé autonomie dans la plupart des livres de management), la qualité des liens entre les membres et avec le leader (parité relationnelle, réciprocité, écoute, care), l’équivalence entre les personnes, la valorisation de ce que j’apporte de particulier au groupe, à l’entreprise, la possibilité de se sentir estimé, la capacité à développer ses moteurs motivationnels dans l’organisation…

Engagement et motivation ne sont pas indépendants, la différence est le curseur que je mets vers la coopération, le groupe, la production de biens communs. La motivation intrinsèque n’es pas nécessairement en lien avec le bien commun, le partage, la réciprocité, qui sont des indicateurs de coopération.

 

Freins à l’engagement, à la contribution engagée et responsable

Ce qui empêche l’engagement ou contribue à un engagement biaisé, basé sur des relations de dépendance financières ou de sécurité, se situe ainsi sur les mêmes 4 plans : éthique, technique et rationnel, émotionnel et développemental. Lorsque nous vivons hors de la possibilité d’engagement, soit nous sommes capables d’indépendance et de vie solitaire (choisie), soit nous faisons face à un grand risque pour notre santé physique et psychique, au travers de vécus de dissonance éthique, cognitive et émotionnelle.

 

–   Éthique

La dissonance éthique est la perception de l’absence de cohérence entre notre éthique, nos valeurs et celles qui sont, ou qui doivent être, mises en application (imposée) dans le groupe, l’équipe, l’organisation à laquelle nous appartenons[ii]. Lorsque nous vivons une forte dissonance éthique (une DRH amené à signer son propre licenciement, un DRH sommé de mettre en œuvre un changement organisationnel augmentant fortement le pouvoir du siège, un autre DRH encore amenée à rechercher les personnes qui vont être licenciées dans une entreprise fortement rentable, un manager à qui on demande de désigner les 10 % de  personnes sous performantes…), nous sommes confrontés à des stress forts et possiblement à de la détresse psychologique.

Lorsque nous percevons des écarts entre ce qui est affirmé sur le plan institutionnel et ce que nous percevons de la réalité vécue sur le terrain, nous entrons dans ce phénomène de dissonance éthique. C’est aussi le cas, lorsque nos valeurs ne peuvent pas être reconnues. Nous pouvons alors nous adapter à ce que demande notre organisation, en compensant par une forte rémunération permettant de répondre à d’autres désirs et plaisirs, ou alors nous reportons sur nous ou dans notre environnement familial les souffrances qui sont générées.

 

–   Technique et rationnel 

Le « rejet » rationnel des modes de fonctionnement de l’organisation provient de l’incompréhension des modes de fonctionnement, de la perception claire à notre sens des écarts entre ce qui est fait et ce qui devrait permettre le meilleur fonctionnement possible à nos yeux.

Cet élément porte souvent sur des problématique d’attribution de ressources, de lourdeurs administratives, de choix des objectifs (le responsable maintenance d’un abattoir à qui l’on refuse un investissement qui permettrait d’éviter les pannes à répétition ; le responsable technique d’un garage qui doit donner aux clients son mail personnel, car le mail interne à l’entreprise n’a pas été réparé malgré deux semaines de relances ; le responsable d’une équipe de conditionnement qui doit dés-étiqueter des milliers de bouteilles produites mais non vendues et qui propose depuis longtemps une réorganisation de la production avec une possibilité d’étiquetage rapide à la demande…).

 

–   Émotionnel

La peur et la colère non prise en compte et non traitée peuvent conduire à des attitudes de rébellion non basée sur une réflexion rationnelle, projections sur le leader, sur les autres membres, nous éloignant de la participation.

D‘autres formes émotionnelles sont également actives pour générer du déengagement : la déception et son cortège de frustrations, d’attentes non exprimées et non satisfaites ; la perte de repères (amenant le doute, le sentiment d’être largué, perdu, inutile) ; le sentiment d’inadéquation, la honte liés à l’humiliation, à la non prise en compte des forces et des savoirs faires de chacun.

 

–   Développemental et relationnel

Principal risque pour l’engagement : la création de modes de dépendance relationnelle (le non partage d’information, les prises de décision arbitraires ou non explicités, les interruptions dans le travail prescrit, le changement de l’ordre des priorités, la demande d’obéissance y contribuent) ; les modes de management infantilisants (procédures surdétaillées, demandes de validation d’achats de très faible valeur – l’exemple le plus connu étant celui décrit par Zobrist chez Favi à son arrivée, avec la nécessité de rapporter les gants de protection usés pour l’obtention d’une nouvelle paire, ou encore la nécessité d’établir un bon de commande visé par la direction de l’hôpital pour obtenir du café et des jus d’oranges pour une formation, de la part du service restauration). Des relations brutales, l’absence de sécurité psychologique, la non prise en compte des plaintes, l’absence de lieux d’écoute pour ceux qui en ont besoin… contribuent grandement au désengagement en activant la défiance.

 

La recherche de l’engagement ne répond pas au désir de changement d’un leader, mais bien à ses actes au quotidien, sa capacité à tisser des relations de qualité avec les membres du groupe, leur permettant de mettre en oeuvre leur désir de coopération et leurs talents. Pour que cet engagement  (contribution active et responsable) s’incarne et puisse perdurer il est important que les processus de coopération et les modes relationnels portant sur le positionnement et la reconnaissance de chacun soient clarifiés et répondent aux besoins des personnes.

 

[i] https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/02/24600-et-si-la-notion-dengagement-etait-depassee/

[ii] Benoît Cherré, Zouhair Laarraf et Zahir Yanat – Dissonance éthique : forme de souffrance par la perte de sens au travail – https://www.cairn.info/revue-recherches-en-sciences-de- gestion-2014-1-page-143.htm

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